En attendant Godot avec Lucian Msamati et Ben Whishaw – critique du film West End

Cela fait presque soixante-dix ans depuis la première de 1955 En attendant Godot En Grande-Bretagne, il a été accueilli avec ennui et incompréhension. Pourtant, dans cette nouvelle production avec Lucian Msamati et Ben Whishaw dans les rôles des deux vagabonds Estragon et Vladimir, le premier chef-d'œuvre de Samuel Beckett brille plus que jamais.

La clé de Godot Le film se résume à trouver et à maintenir un équilibre entre son côté comique brillant et ses teintes sombres et philosophiques. Le réalisateur James Macdonald débloque ses tensions avec un équilibre parfait, laissant émerger son sérieux et sa tristesse, mais le remplissant également d'une quantité surprenante d'amour.

Deux excellents essais sur le programme soulignent la façon dont Beckett, lorsqu’il écrivit Godot en 1948-1949 (créé en 1953), était encore proche de ses expériences de la Seconde Guerre mondiale, au cours de laquelle il avait été impliqué dans la résistance française et où nombre de ses amis furent torturés et moururent. La misère évoquée dans sa pièce, la violence qu’elle montre, la faim et le gaspillage étaient autant de choses qu’il avait vécues.

Mais la grandeur de l'œuvre est qu'elle reflète et transcende à la fois cette souffrance, faisant de ses personnages centraux des témoins et des victimes, attendant un salut qui n'apparaît jamais tout à fait, mais continuant à survivre, à endurer et à lutter alors que les jours se succèdent sans fin et qu'il n'y a « rien à faire ».

Ici, lorsque le rideau bleu de sécurité se lève, la pente du décor de Rae Smith, aride comme un paysage lunaire ou les conséquences d'une guerre, se met en place, soulignant la nature circulaire et sans fin des journées de Didi et Gogo. Gogo, interprété par Msamati, est assis sur le côté, enfilant une botte. Didi, interprétée par Whishaw, se tient sous un arbre argenté et stérile, dont les branches nues sont couvertes de plastique en lambeaux, le regard fixé sur un ciel sombre.

Les clochards sont en quelque sorte des sans-abri, vêtus d'un assortiment de vêtements en lambeaux, sales et mal ajustés, très différents des gros manteaux et des chapeaux assortis portés par Patrick Stewart et Ian McKellen lorsqu'ils ont joué la pièce dans cette même salle en 2009. Ils ne sont pas des clowns, mais la théâtralité de l'œuvre est préservée par la façon dont les personnages regardent le public à certains moments, nous impliquant, nous et nos décisions morales, dans le « charnier » que le monde a créé.

La mise en scène et les acteurs différencient magnifiquement les deux hommes. Gogo, interprété par Msamati, avec son pantalon tombant et son chapeau à pans de fourrure, est un pragmatique pragmatique, tandis que Didi, interprété par Whishaw, enfile et retire constamment son chapeau à pompon et semble flotter comme un philosophe maigre, les chevilles croisées, les bras croisés, un doigt pensif sur ses lèvres qui tremblent. Avec un timing exquis, ils trouvent de nouvelles voies à travers des lignes familières – les petites pauses de Whishaw, la platitude ironique de Msamati – rendant le langage poétique et musical, mais toujours naturaliste.

C'est un remarquable exercice d'équilibrisme qui permet de mettre en lumière la richesse de pensée qui traverse la pièce, objet de mille thèses mais qui semble nouvelle. Ils transmettent aussi constamment, par de petits gestes et des regards, l'affection et la proximité des deux hommes. Ils peuvent menacer de se quitter, ils peuvent même croire qu'ils seraient mieux seuls, mais ils sont liés l'un à l'autre par des liens de connaissance et de besoin.

Lorsque leur routine quotidienne d’attente de Godot – une phrase qu’ils ne prononcent jamais deux fois avec la même intonation – est interrompue par l’arrivée d’un autre couple symbiotique, le maître Pozzo (un Jonathan Slinger bouillonnant, féroce et urbain, habillé comme un hobereau de campagne) et son esclave Lucky (Tom Edden, éblouissant et poignant à la fois par la comédie de son silence et par son unique et torrentielle explosion de paroles), ils s’accrochent ensemble comme des conspirateurs, essayant de peser le pour et le contre de ce qu’ils doivent faire.

Lorsque le couple réapparaît au deuxième acte, avec Pozzo désormais aveugle et Lucky muet, McDonald joue la comédie physique de l'effondrement du quatuor sur scène, transformant leurs mouvements en une sorte de danse du chaos, les événements et leurs paroles faisant passer le temps, repoussant le désespoir.

Le passage du temps est l'une des préoccupations principales de Beckett dans ce purgatoire où rien n'est rappelé et rien ne demeure et l'éclairage de Bruno Poet marque la descente du jour à la nuit dans des tons froids, un rouge riche ne changeant le paysage que lorsque le Garçon arrive pour annoncer la non-arrivée de Godot.

L'ensemble de la production a cette même clarté et cette même réflexion, une manière de mettre en lumière le langage et la philosophie de Beckett d'une manière qui le rend à la fois profondément drôle et infiniment triste, qui vous oblige à écouter et à réfléchir. Merveilleux.